dimanche 9 janvier 2011

Ils saignent le Sud avant de s’attaquer au Nord | Humanite

Les fonds vautours continuent de faire des ravages dans les pays du Sud. La République démocratique du Congo (RDC) vient d’en faire les frais en perdant un nouveau procès contre le fonds spéculatif FG Hémisphère devant la cour de Jersey. Cette nouvelle saignée était malheureusement prévisible. En effet, FG Hémisphère utilise toujours la même méthode, caractéristique des fonds vautours : basé dans un paradis fiscal (dans le Delaware, en plein cœur des États-Unis), comme la majorité des fonds vautours, FG Hémisphère rachète en 2004 d’anciennes dettes décotées de la RDC datant des années 1980 (d’une valeur réelle de 37 millions de dollars), puis saisit la justice anglo-saxonne (la cour de Jersey), particulièrement protectrice des créanciers, afin d’obtenir le remboursement de la valeur nominale de cette dette, auquel s’ajoutent les intérêts de retard et autres pénalités (pour un montant total d’environ 100 millions de dollars).

Ainsi, FG Hémisphère a obtenu le droit de se faire rembourser une dette de 100 millions de dollars alors qu’il n’a déboursé que 37 millions de dollars. Et chaque jour, cette dette augmente de 27 500 dollars à cause des intérêts ! Pour s’assurer de son règlement, le jugement de Jersey confère à FG Hémisphère le droit de saisir une partie des futurs bénéfices du joint-venture GTL (Groupement du terril de Lubumbashi), qui compte parmi ses actionnaires le groupe de George Forrest et le gouvernement congolais via la Gécamines, une entreprise publique minière de la province du Katanga. Rappelons que FG Hémisphère avait déjà obtenu en 2008 le droit de saisir, pendant les quinze prochaines années, les recettes de la vente d’électricité à l’Afrique du Sud et qu’en février 2010, il était autorisé par la cour d’appel de Hong Kong à saisir une partie des droits payés par la Chine à la RDC pour l’exploitation d’un gisement minier.

Et ce n’est pas fini puisque d’autres fonds vautours sont entrés dans la danse, réclamant à la RDC plus de 452 millions de dollars devant les tribunaux. Il y a donc fort à craindre que les fonds libérés par l’allégement de la dette congolaise, intervenu après que les autorités de Kinshasa ont cédé à toutes les pressions des créanciers occidentaux, soient raflés par ces fonds vautours. Face à ces attaques, le gouvernement congolais vient de demander l’aide de la Facilitation africaine de soutien juridique, un organisme créé en 2008 par la Banque africaine de développement (BAD), notamment pour assister les États attaqués par les fonds vautours. Ce nouvel organisme a le mérite de proposer une aide concrète aux pays victimes de ces fonds spéculatifs, en mettant à leur disposition des avocats pour négocier et défendre les États devant les juges.

Toutefois, cette aide reste insuffisante face à l’ampleur du phénomène. Les fonds vautours traînent actuellement en justice une dizaine de pays africains dans une cinquantaine de procès et la crise mondiale, qui fait courir le risque d’une nouvelle crise de la dette au Sud, va très certainement accroître leur voracité puisqu’ils pourront racheter des créances impayées sur les pays en développement à des montants extrêmement bas et ainsi accroître leurs gains.

Ces attaques ne se limitent pas au continent africain. À titre d’exemple, l’Argentine est actuellement la proie de deux fonds vautours, Elliott Capital et EM Limited, qui tentent de saisir les fonds déposés par l’État argentin auprès de la Banque des règlements internationaux (BRI), pour un montant dépassant 1 milliard de dollars. Il n’existe pas non plus d’obstacle (pour le moment) à ce que les fonds vautours attaquent prochainement les pays du Nord, compte tenu des pratiques spéculatives sur leurs dettes. Dans ce contexte, des mesures fortes s’imposent pour mettre les fonds vautours hors d’état de nuire.

Pour cela, il faut instaurer des règles du jeu enfin justes, car l’activité des fonds vautours est (pour le moment) légale. Les pouvoirs publics doivent rendre leur activité illicite en interdisant purement et simplement la spéculation sur les dettes d’État, qui ne profite qu’à une poignée d’individus sans scrupule. En attendant une initiative internationale de cet ordre, les parlements au Sud et au Nord doivent immédiatement adopter de manière unilatérale des lois pour limiter l’action 
des fonds vautours. La Belgique a ouvert la voie en 2008 en prenant une loi rendant « incessible et insaisissable » l’argent belge de la coopération au développement. Les différents pays doivent agir au sein des instances européennes et internationales pour la généralisation de ce type de dispositif à tous les fonds (publics et privés).

En France, il est déplorable de constater que la proposition de loi déposée en 2007 visant à empêcher les fonds vautours de faire valoir leurs créances devant les tribunaux français n’a toujours pas été adoptée. Pis, la France abriterait deux fonds vautours sur son territoire. Qu’attendent les parlementaires français pour adopter cette loi et mener un audit de leurs créances envers les pays en développement ? Car, en révélant la part illégitime des dettes, celles qui n’ont pas profité aux populations et ont alimenté la corruption, l’audit permet de fonder des annulations unilatérales de dettes et donc de couper enfin les ailes aux fonds vautours.

Renaud Vivien

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